FRAGILES FABULAE

Dans son nouveau projet, Žilda nous donne à voir des mythes puissants, ayant traversé un espace-temps considérable avant qu’il ne les fragilisent lors de ce glissement de la toile ou du livre au papier journal et à la rue. Ces mythes, ces fables, ces histoires, il les emprunte à une iconographie hétérogène et dense, de la tragédie grecque aux légendes celtiques, de la Bible à la mythologie latine et aux faits divers des journaux du XIXème siècle…
Ré-ouvrant cet imaginaire et nos imaginaires, il réinterprète par une technique mêlant dessin et esquisse des peintures de Murillo, du Corrège, de Prud'hon, de Bouguereau, de Füssli et d'autres, que l'histoire de l'art n'a pas retenues, Carlos Schwabe, Sascha Schneider, Elihu Vedder, toutes ces oeuvres ayant en commun une même puissance dans l'évocation de la passion et du tourment, à travers les thèmes de la solitude, de la mélancolie, du deuil, de la folie : « le beau est toujours bizarre ».
En installant ensuite la peinture dans la rue, le thème « classique » bascule dans l'espace moderne, et la photo vient fixer la lumière et capter la texture et la composition des murs. L'oeuvre s'envisage comme métissage des pratiques et des matières, dans ce tableau photographique où les frontières entre mise en scène et réalité sont déplacées. L'art de rue devient ce lieu où se mêlent peinture, scénographie et photographie.
L’espace quotidien et public s’étrangéifie au contact de ce réalisme infusé d’un romantisme sombre et cruel, teinté de fantastique; le temps, lui, se construira au fil des passants, dans leurs regards affabulateurs et dans la lente destruction d’une œuvre qui peu à peu s’efface.
Lubna S.
Cinémathèque Française

Žilda : [PASOLINI ROMA?]



« Sarei disposto a rinunciare a qualunque cosa per il rimbarbarimento del mondo. »  
Pier Paolo Pasolini

Quatre ans après "Io sono una forza del passato" , Žilda retourne à Rome poursuivre son travail sur le cinéma pasolinien.
Un retour à Rome qui suit les mutations du langage cinématographique de Pier Paolo Pasolini, depuis le moment où il a découvert la caméra, dans une sorte d’illumination, aux films successifs où tout devient plus conscient et maîtrisé. Une fois les deux personnages d’Uccellacci e Uccellini éloignés vers une autre route, une fois Togliatti enterré, le cinéma pasolinien se tourne davantage vers l’irrationnel, il fait l’expérience de la couleur, et surtout il quitte les borgate romaines.
Les installations de [Pasolini Roma?] rendent à Rome les images dé-romanisées des derniers films, et elles le font sauvagement, sans permission, sans autorisation, parce que célébrer Pasolini de façon officielle serait déplacé. Pour la beauté du geste, faire resurgir sur les murs des images crées par un poète du cinéma, un cinéma qui naît de la peinture et qui retourne ainsi à la peinture. L’unité du film est déchirée, éparpillée. Les fragments qui naissent de ce déchirement représentent la perte et la solitude mais ils permettent aussi la réouverture de l’œuvre. Le style frontal et silencieux du cinéma de Pasolini, sans plans séquences, ce cinéma de montage, qui isole les actions et les choses, se prolonge dans les peintures de Žilda. Continuité donc, mais déplacement également ; les limites du cadre deviennent ambigües, les images s’immiscent dans un nouveau champ qui engendre de nouveaux sens et de nouvelles confrontations ; elles se poursuivent dans un hors-champ qui s’ouvre sur nos imaginaires.
Pour ce retour à Rome, trois films sont choisis, Porcherie, les Mille et une nuits et Salò, parce qu’il ne faut se résoudre ni au moralisme ni à l’affadissement de la vie. Lors des repérages, trois lieux s’imposent, la Casilina, Porta Portese et l’EUR, trois lieux forcément évocateurs dans une Rome peuplée des personnages pasoliniens et de Pasolini lui-même qui habita la Ville au sens plein du terme. Au total, cinq scènes qui représentent le corps, le corps nu ; cinq tableaux qui dévoilent le sexe, le sexe du plaisir et de la contestation des Mille et Une nuits et le sexe obligatoire et consumériste de Salò. Si Salò bénéficie d’une place de choix dans ce dernier projet romain, c’est aussi parce que Pasolini y laisse une grande marge blanche, le spectateur y a activement sa place ; Žilda y trouva des images mystérieuses, d’une puissance nucléaire, qui résistent de façon inouïe à toute tentative de récupération.
Foutre une claque au passant, le sortir de ses habitudes visuelles, surtout que ce ne soit pas de l’animation culturelle, que ce ne soit ni confortable ni inoffensif. Ce n’est pas parce qu’on est dans la rue qu’il faut simplifier, alors des pièces originales sont là, offertes à la dégradation collective, à la karchérisation municipale, parce qu’il ne faut jamais subordonner l’esthétique à l’utile. Ce n’est pas parce qu’on est dans la rue qu’il faut être rhétorique ; à Rome, en mai 2013, neuf personnages s’exposent et diffusent le sens du mystère et de l’énigme.
Lubna S.